dimanche 14 juin 2015

L’effondrement des USA a commencé



Un professeur de la Sao Paulo Business School, Antonio Gelis-Filho, a pris la plume pour décrire ce qu’il juge, dans la situation actuelle, comme “improbable mais possible pour nombre de raison” : l’effondrement des USA, à-la-soviétique/style-URSS.
L’intérêt de ce texte est d’abord dans sa forme et dans les buts qu’il se fixe. Il s’agit d’une analyse faite dans le style de ces rapports des conseillers économiques de grandes entreprises, destinés aux planificateurs, aux dirigeants, etc., du Corporate Power mais aussi d’autres domaines. Le ton est donc très mesuré, factuel, et nous laisse à penser qu’il prétend ne guère laisser de place à l’intuition, à la spéculation politique, voire au sensationnalisme ; en ce sens il tranche avec les analyses faites jusqu’ici de cet événement hypothétique considérable de l’effondrement des USA. Il s’adresse, d’une façon logique pour un auteur brésilien, aux pays émergents et entend ainsi consolider son but pratique du type “messieurs les planificateurs, prenez désormais en compte cette possibilité”. 
Nous allons signaler plusieurs points du texte nous paraissant intéressants, et éventuellement détailler la cause de notre intérêt. En effet, il apparaît que le texte de Gelis-Fliho est sans aucun doute marqué par divers arguments qui valent d'être signalés, qui tiennent compte aussi bien des évènements présents, de la puissance de la communication, que des constantes historiques justement identifiées...
• Il y a d’abord le sentiment très puissant aujourd’hui du déclin accéléré des USA, et même du déclin désormais sans retour, devenu inéluctable jusqu'à la chute finale. C’est un sentiment général, qui peut certes être argumenté selon des faits objectifs mais qui touche d’abord la perception, et donc les psychologies. Ce sentiment est substantivé par Gelis-Fliho par une menace brutale venue paradoxalement d’une créature plus ou moins accouchée par les USA, – mais qui s’en étonnera, en arguant aussi bien de la tendance autodestructrice du Système que des hypothèses suicidaires comme celle que nous signalons souvent de la part de Lincoln-1838 ? Cette menace est celle d’une attaque nucléaire de ISIS/EI/Daesh contre les USA, largement affirmée par ce groupe, et largement répercutée. L’intérêt de la remarque est que Gelis-Fliho ne prévoit pas qu’une telle attaque puisse se concevoir aisément, tant s’en faut, mais juge comme un signe extrêmement puissant de l’effondrement possible des USA qu’une telle menace ait été proférée, “sur un ton nonchalant”, un peu dans le genre business as usual, – comme si l’on disait “ce pays est tellement en déclin et si rapidement que lui balancer une arme nucléaire dans le style terroriste n’est pas plus impensable ni difficile que balancer une voiture piégée dans les rues de Bagdad”.
• Une deuxième remarque intéressante est la perte de ce qui fit le ciment de ce pays qui n’est en rien une nation, qui n’a aucune racine historique et qui fut même bâti contre l'Histoire, qui est structurellement artificiel, qui n’est donc tenu que par une construction humaine (sans que les concepteurs de cette construction ne se doutassent qu'ils accomplissaient une ouvre nécessaire au Système)... Et cette construction humaine se nomme, selon Gelis-Fliho, “‘succès” ou “progrès matériel”. L’état économique, infrastructurel, financier catastrophique, avec une dette écrasante, une situation de l’infrastructure du pays équivalente à un pays du Tiers-Monde, parfois du Quart-monde, une inégalité absurde à force d’obscénité, une vie publique réduite à la corruption et à la narrative, tout cela fixe les conditions de la perte du ciment de l’unité des USA qui est le “succès” demandant à la fois une stabilité structurelle et une certaine répartition du progrès ...
• Il faut bien entendu rappeler que cet idée du ciment de l’Amérique reposant sur le “succès”, qui peut être aussi nommé “intérêt”, est parfaitement identifiée par Tocqueville dès ses premiers jours passés aux USA, lors de son voyage de 1831 qui servit de documentation à son De la démocratie en Amérique ; ainsi écrit-il dans ses Souvenirs, à la date du 1er juin 1831 : «Quand on réfléchit à la nature de cette société-ci, on voit jusqu’à un certain point l’explication de ce qui précède: la société américaine est composée de mille éléments divers nouvellement rassemblés. Les hommes qui vivent sous ses lois sont encore anglais, français, allemands, hollandais. Ils n’ont ni religion, ni mœurs, ni idées communes; jusqu’à présent on ne peut dire qu’il y ait un caractère américain à moins que ce soit celui de n’en point avoir. Il n’existe point ici de souvenirs communs, d’attachements nationaux. Quel peut donc être le seul lien qui unisse les différentes parties de ce vaste corps? L’intérêt.» Le patriotisme des Américains, qui sert si souvent d’arguments aux intellectuels européens et de convenance à toutes les activités de communication US (jusqu’à la présence obligée d’un drapeau US dans tous les films US) est, justement, une construction de communication qui concerne un “idéal” fabriqué (type-American Dream) sans le moindre rapport avec la vérité de la situation américaniste ; s’il tient la situation en temps normal par une narrative de strict encadrement, cet idéal faussaire a pour effet d’alimenter, dans les périodes de crise intérieure, lorsque le soi-disant “succès” américaniste s’efface, une rancœur et un défaitisme extraordinaires devant ce qui n’apparaît alors que comme le montage d’une imposture, et donc une doublement trahison (l’idéal lui-même trahi, et la construction faussaire de cet idéal apparue en pleine lumière comme une autre trahison).
• Gelis-Fliho estime justement que les conditions de crise actuelle tendent à rompre les solidarités que le succès du “modèle” rendait intéressantes et lucratives pour tous. D’où une extraordinaire rancœur pour le centre, le sentiment d’une perte d’unité, sinon d’une identité américaine dont on doute qu’elle ait été un phénomène historique réel, – justement à cause de l’historicité faussaire des USA. Gelis-Fliho évoque la militarisation du pays , d’ailleurs d’ores et déjà en cours, comme une mesure de sauvegarde mais ne lui prête pas une très grande vertu d’efficacité dans les conditions actuelles. Au reste, cette tentative de militarisation pourrait elle-même déclencher très rapidement des réactions extrêmement négatives de déstructuration et de dissolution (voir le 16 mai 2015)
• Pour terminer, il y a l’évocation des effets qu’aurait l’effondrement des USA, qui se traduirait selon Gelis-Fliho par une déconstructuration-dissolution “sauvage“ à cause de l’absence d’unité historique naturelle du pays. Gelis-Fliho juge qu’un tel effondrement serait très différent de celui de l’URSS, dont la construction reposait sur des entités nationales et historiques fortes, avec la Russie au milieu, grande puissance historique à l’unité psychologique et spirituelle fondamentale, l’éclatement de l’URSS conduisant instantanément à une reconstitution plus ou moins réussie de ces formes historiques. Cet effondrement-dissolution des USA aurait nécessairement un effet à mesure sur l’équilibre du monde, et, bien entendu, du Système. Gelis-Fliho évoque les questions extrêmement graves, souvent plus que dans le cas de l’URSS, de l’évolution et de la destination de la puissance militaire US, à l’extérieur du pays aussi bien que nucléaires stratégiques ... 

 ... Nous écrivions ceci le 14 octobre 2009 :
«Nous avons déjà écrit et nous le répétons avec force : il ne peut y avoir, aujourd’hui, d’événements plus important pour la situation du monde qu’une dynamique de dislocation des USA. Nous pensons que la crise actuelle est à la fois, et contradictoirement, formidablement amplifiée et formidablement bloquée dans sa compréhension par la puissance de la communication. Ce phénomène ne cesse de dramatiser et d’attiser les conditions de la crise tout en renforçant la pression du conformisme de la pensée dominante pour ne pas mettre en cause les éléments qui sont les fondements de cette crise.
»L’un des fondements est psychologique, avec le phénomène de fascination – à nouveau ce mot – pour l’attraction exercée sur les esprits par le “modèle américaniste”, qui est en fait la représentation à la fois symbolique et onirique de la modernité. C’est cela qui est résumé sous l’expression populaire mais très substantivée de “American Dream”. Cette représentation donnée comme seule issue possible de notre civilisation (le facteur dit TINA, pour “There Is No Alternative”) infecte la plupart des élites en place; elle représente un verrou d’une puissance inouïe, qui complète d’une façon tragique la “fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique” pour former une situation totalement bloquée empêchant de chercher une autre voie tout en dégringolant vers la catastrophe. La fin de l’“American Dream”, qui interviendrait avec un processus de parcellisation de l’Amérique, constituerait un facteur décisif pour débloquer notre perception, à la fois des conditions de la crise, de la gravité ontologique de la crise et de la nécessité de tenter de chercher une autre voie pour la civilisation – ou, plus radicalement, une autre civilisation...»
dedefensa.org



Sondage :  les Américains n’y croient plus


Un nouveau sondage Gallup  constate que la confiance – déjà basse – dans le gouvernement américain, l’économie, les médias, les banques, les grandes entreprises, les institutions religieuses et les organes de surveillance… continue de baisser.
«La confiance des Américains dans les principales institutions des États-Unis reste sous la moyenne historique pour chacune d’entre elles», résume le porte-parole de Gallup.
[…]
Tout compte fait, nous avons l’image d’un pays découragé par son état présent, inquiet pour son avenir, et franchement sceptique sur la capacité de ses institutions à redresser la barre.
Il y a plein de bonnes raisons à cela – et on en découvre chaque jour, chaque semaine et régulièrement depuis toutes ces années d’hypocrisie et d’échecs du gouvernement.  Promesses électorales enterrées,  mensonges et tours de passe-passe des médias de masse et des journaux,  rapacité du secteur de la finance et mise en coupe réglée de l’économie par Wall Street,  mentalité pour nous seulement de ces responsables qui se croient au-dessus des lois, et qui sont pourtant censés assurer la justice…
Et maintenant, voici quelques chiffres pour mesurer la confiance, ou plutôt le peu de confiance qui subsiste dans les institutions américaines :
Seulement 8% des citoyens américains font confiance au Congrès – c’est 16 points au-dessous de la moyenne calculée sur le long terme (24%). D’après ce sondage, le Congrès est l’institution qui inspire le moins confiance.
33% font confiance au Président, une dégringolade par rapport à la moyenne historique de 43%.
32% font confiance à la Cour Suprême – une chute par rapport à cette moyenne, ici de 44%.
28% font confiance aux banques – autre chute, par rapport à la moyenne : 40%.
21% font confiance aux multinationales – moyenne sur le long terme : 24%.
24% font confiance aux syndicats – moyenne : 26%.
24% font confiance aux journaux – moyenne : 32%.
21% font confiance aux infos télévisées – moyenne : 30%.
52% des Américains […] font confiance à la police [moyenne historique : 57%].
Que dire d’autre, sinon que le système est à terre ?
Franchement, cela ne ressemble plus du tout à ce que voulaient les Pères fondateurs, à leur volonté de séparer les pouvoirs et de limiter ceux du gouvernement.
Aucune des trois branches du pouvoir fédéral n’obtient la confiance de la majorité des citoyens – ni même d’une majorité relative… Peut-être est-ce la simple conséquence du jeu de massacre des médias sur les hommes politiques, dans un système bipartisan strict.
Mais les autres piliers de la société américaine ont eux aussi perdu le soutien du public – ces chiffres, ahurissants, marquent la fin du rêve américain, et montrent que le secteur privé est jugé tout aussi corrompu que le secteur public (ou pire encore).
Cerise sur le gâteau : c’est tout à fait mérité. La crise de 2008 a eu pour conséquence de consolider le pouvoir et la richesse des grandes banques, et donné à la Réserve fédérale tout pouvoir sur l’économie. Tout cela, au détriment des classes moyennes.
Scandale après scandale, nous avons découvert le vrai visage de cette corruption.

Et les faits s’accumulent tellement que nous ne pouvons plus passer outre : guerres sans fin et menaces terroristes, fausses promesses de changement et de lendemains qui chantent, rognage répété des libertés individuelles, opportunités de réussir qui s’éloignent de plus en plus dans une économie en crise, contrats négociés en secret pour enrichir des groupes de pression, montée des technologies génératrices de chômage…
Que la plupart des Américains suivent ces développements ou pas, ils les sentent instinctivement. Il n’y a plus personne digne de confiance aux commandes – pire, il n’y a personne de bien en vue pour les prendre.