vendredi 8 janvier 2016

France. Des camps de la honte pour des réfugiés désespérés

Dans la banlieue de Dunkerque, dans le Nord, le camp du Basroch rassemble plus de 2500 migrants dans des conditions effroyables. Parmi eux, deux-cents enfants, en majorité Kurdes, vivent dans la boue. Leurs voisins français débordent d'humanité : ils sont exaspérés  et voudraient les expulser en enfer, si possible.
A l'entrée, où stationnent deux camions de CRS, un panneau posé par la mairie proclame fièrement «Eco-quartier du Basroch, 500 logements à partir de 2015». Nous sommes en janvier 2016, et les 20 hectares du terrain communal sont remplis de tentes Quechua. A Grande-Synthe, dans la banlieue de Dunkerque (Nord), 2500 à 3000 migrants vivent ici, dans la boue, car le terrain est extrêmement marécageux.
Pour circuler, il faut marcher sur des chemins constitués de palettes, de couvertures, de matelas imbibés d'eau. Des centaines de tentes parsèment le vaste terrain. Ça et là, des petites cabanes faites de bois et de tôle constituent des abris précaires, où brûlent des feux de camps. La police interdit tout entrée de matériel de construction qui permettrait des constructions solides.
Les conditions sanitaires sont déplorables. Il y a une vingtaine de toilettes chimiques pour 2500 personnes. Celles-ci débordent d'excréments. Faute d'électricité, seule une partie des quarante douches fonctionne: 200 personnes seulement peuvent se laver chaque jour. Dans un tente, une cuisine improvisée permet de prodiguer des repas sommaires à 1300 personnes. La nourriture, apportée par les associations, ne semble pas manquer.
En plus de l'équipe de Médecins Sans Frontières présente sur place quotidiennement pour distribuer des soins, on compte aussi de nombreux volontaires étrangers, venus d'Allemagne, de Grande-Bretagne ou d'Irlande. «Quand j'ai vu la crise des migrants à la télé, je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose, dit Maryann O'Neill, la cinquantaine, qui chante des chansons aux enfants et leur distribue des lampes de poche. Sara, une Allemande, a les larmes aux yeux: «Il n'y a rien de comparable en Allemagne. Je suis extrêmement choquée qu'en Europe, il puisse exister des situations pareilles». Tous les volontaires, qu'ils aient travaillé en Turquie, en Afrique, ou ailleurs, sont d'accord: c'est du jamais vu. «Il n'y a pas de mots pour décrire l'enfer», insiste une bénévole de MSF. «On n'a jamais vu ça. On est la sixième puissance mondiale!», lance un autre, exaspéré par l'immobilisme des autorités.
Autre spécificité sordide de ce camp: la présence de nombreux enfants. Ils seraient, selon le dernier comptage, 200, dont au moins quatre bébés de moins d'un an. Une petite «école» - si on peut appeler ainsi une cabane de 10 mètres carrés faite de tôle et de bois - a été construite au milieu de la jungle. Dans la fumée du poêle qui chauffe faiblement la pièce (la seule de tout le camp), les enfants s'amusent avec quelques jouets. Une volontaire venue d'Angleterre, Sarah Stanley, joue et parle avec eux. «Ils sont traumatisés. Ils ne se font pas confiance, ne jouent pas entre eux comme le feraient d'autres enfants. Certains ont été réveillés dans leurs lits pour assister à des décapitations. Ils font des cauchemars», raconte la Britannique. Comme cette fillette de trois ans, qui a perdu sa couverture «rose avec des lapins blancs» sur la route, entre Erbil et Mossoul, et qui depuis, n'arrive plus à dormir. Sur le tableau noir, Hana, 14 ans, dessine une fleur avec une bulle «I am sad». «Tu es triste?» Elle l'efface. «Oui, c'est difficile ici, mais moins qu'en Irak», dit-elle avec un faible sourire.

Les riverains exaspérés

La plupart des migrants viennent du Kurdistan irakien. Ils ont fui la guerre, Daech et les milices islamistes qui sèment la terreur dans la région. Ils veulent tous passer en Angleterre. Ici, il y a deux ou trois passages par jour, à bord des poids lourds en partance pour la Grande Bretagne, soit beaucoup plus qu'à Calais (un à deux passages par semaine). Les passeurs sont très présents dans le camp.
Dans les petits pavillons qui bordent le camp, les riverains sont partagés entre la pitié et l'exaspération. Comme Michel, retraité qui a travaillé trente ans chez Arcelor Mittal et qui râle. «Je reçois des tracts d'associations dans ma boite aux lettres qui me demandent de les accueillir chez moi, de leur donner à manger. Et puis quoi encore!», peste-t-il. «Ils font du tam-tam toute la nuit, le weekend, on peut pas dormir», renchérit son voisin. «Et le quartier n'a jamais été aussi sale». Lorsque les associations distribuent des vêtements, les migrants en se changeant laissent leurs habits pleins de boue et leurs bottes dans les rues du quartier. Les habitants en ont marre, mais les résidents du camp, encore plus qu'eux. Un projet de MSF et de la mairie prévoit de déplacer le camp sur un autre terrain, avec des tentes chauffées et un équipement adapté. Une perspective à laquelle l'Etat semble défavorable, de crainte de voir s'établir un camp pérenne. Les autorités ont donc retoqué le projet présenté par la mairie. Un nouvelle offre devrait être proposé lundi. En attendant, de nouvelles familles arrivent chaque jour, ajoutant une tente de plus dans la boue de Grande-Synthe.


Source  http://www.jacques-tourtaux.com/blog/france/camp-de-la-mort-de-grande-synthe-pas-de-mots-pour-decrire-l-enfer.html#H4k5zfQf02zgFUmd.99