jeudi 17 mars 2016

Le pari de Poutine en retirant les troupes russes de Syrie



Pour l’expert militaire Valentin Vasilescu, le retrait partiel des forces aériennes russes de Syrie ne comporte pas de risques. L’armée russe a déjà détruit les fortifications érigées par les jihadistes et l’armée arabe syrienne a été équipée d’armes modernes qui lui permettront de libérer le territoire occupé.



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La décision de retirer le contingent russe en Syrie a commencé à être appliquée dans la journée même où le président Vladimir Poutine l’a annoncée [1], comme si la décision ne pouvait pas prendre quelques heures. Tout d’abord, il a fallu une semaine pour suivre attentivement le déroulement de la trêve qui est entrée en vigueur le 27 février 2016 et s’assurer qu’il n’y aurait pas de mauvaises surprises. Ensuite, le repli depuis la Syrie vers la Russie (une distance d’au moins 2 500 kilomètres) a nécessité une préparation technique de 4- à 5 jours, en tenant compte des moyens russes nécessaires au suivi de la trêve qui devront rester en Syrie.
Une fois déterminé ce qui ne doit pas rester en Syrie, le matériel de combat a été retiré, démonté et placé dans des conteneurs. Les moyens de transport aériens et navals ont été affectés en fonction des capacités de chargement des avions en hommes et en matériel, ainsi que leur rayon d’action selon les trajets de vol et les prévisions météorologiques.
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Des plans de vol ont été déposés à l’avance pour tous les itinéraires des avions de transport, avec les aérodromes d’embarquement et de débarquement des avions cargo. Plus d’un millier de soldats russes étaient impliqués dans cette opération. Ils font partie des structures logistiques et connaissaient les détails de la mission avec au moins 3 à 4 jours d’avance, d’autant plus que la route la plus courte n’était pas disponible en raison de la fermeture, pour la Russie, de l’espace aérien des pays de l’Otan.
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Il est intéressant de noter que les services de renseignement de l’Otan n’ont absolument rien vu venir, et ont été surpris par la façon exemplaire dont l’armée russe a réussi à garder ce secret. Cela signifie, en pratique, que les services occidentaux n’ont aucun « infiltré ». L’impression est que Moscou agit, tandis que les autres réagissent, c’est-à-dire que c’est Moscou qui prend l’initiative et ne se préoccupe pas des mouvements de qui que ce soit. Poutine voulait avoir la Crimée et l’a eu en moins de deux semaines sans que quoi que ce soit ne « transpire » en Occident. Poutine a voulu apporter des systèmes S-400 en Syrie en deux jours, il l’a fait, alors que pendant des années Israël s’opposait à la livraison de systèmes S-300 à la Syrie. Et l’Occident en est resté bouche bée.
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Moscou a-t-il atteint ses objectifs en Syrie ?

L’objectif principal était de changer l’équilibre des forces en faveur de l’armée arabe syrienne par une campagne aérienne russe lui assurant, sur le plan logistique, les normes de l’Otan, avec des coûts et des pertes matérielles minimales. Les Russes ont ajouté à cela la modernisation de l’armée arabe syrienne, en particulier l’aviation. Dans le même temps, ils ont testé au combat les nouveaux avions Su-30SM, Su-34, Tu-214 R, des munitions intelligentes à bord de ces avions (Kh-25, KAB-500, KAB-1500, etc.), les nouveaux missiles de croisière KH-101 lancés à partir des avions de bombardement, et NK-Kalibr, lancés à partir de sous-marins et de navires de surface.
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La Russie a testé l’équipement moderne C4I sur les États-uniens et leurs alliés de la coalition anti-État islamique déployée dans les pays autour de la Syrie. Grâce à l’armée arabe syrienne, la Russie a testé des procédures et des armes spécifiques de lutte contre le terrorisme et a appris comment étaient prêts à agir les mercenaires islamistes formés et armés par les États-Unis, les pays de l’Otan, l’Arabie Saoudite… La Russie sait maintenant comment les contrecarrer si un autre « printemps arabe » venait à être organisé quelque part.
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Grâce à l’appui aérien russe, l’armée arabe syrienne a pris l’initiative et a récupéré une grande partie du territoire habité en Syrie. La trêve du 27 février a le plus bénéficié à l’armée arabe syrienne, puisque de nombreux groupes rebelles ont été obligés de la respecter, et elle pouvait se concentrer sur les principaux ennemis : l’État islamique, le Front Al-Nosra (Al-Qaïda en Syrie) et le Front islamique (armé par l’Arabie Saoudite). Ainsi, l’armée arabe syrienne a réalisé un accord, par l’intermédiaire de la Russie, avec les milices kurdes qui défendraient la frontière avec la Turquie, et a obtenu une véritable trêve avec l’ASL (soutenue et armée par les États-Unis et la France). Par conséquent, l’armée arabe syrienne peut diriger l’essentiel de ses forces sur les zones tenues par l’État islamique. Elle frappe maintenant aux portes de Palmyre, les prochaines étapes sont Raqqa et Deir ez-Zor, la partie occidentale de la Syrie comportant beaucoup moins de places à conquérir.
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L’objectif actuel de Poutine est de terminer les négociations de paix, et dans le cas où elles se trouveraient dans une impasse, la base aérienne russe de Hmeymim et la base navale de Tartous ne sont pas restées ouvertes pour rien. Cependant, tous les avions de reconnaissance sans pilote et les systèmes de défense antiaériens russes S-400, Pantsir-S2 sont restés en Syrie pour surveiller le respect de la cessation des hostilités. Et dans un maximum de 12 heures, les bombardiers russes peuvent revenir en Syrie et reprendre les frappes aériennes.

Conclusion

Poutine a prouvé que la Russie est une grande puissance et qu’il peut traiter d’égal à égal avec Obama. Il a réussi à conserver des bases militaires en Syrie et à restaurer l’armée arabe syrienne qui sera un pilier d’une grande influence au Moyen-Orient sur lequel la Russie pourra compter.

Poutine maître du jeu

Face à une Amérique frileuse, une Europe impuissante et une France qui a disparu des écrans radars, Poutine est à la manœuvre. En retirant la majeure partie de ses forces, il adresse quatre messages.
Premier message : la Russie n'a pas l'intention de rejouer le scénario de l'enlisement en Afghanistan dans les années 1980. L'expédition syrienne ne coûte pas trop cher : 3 à 4 millions de dollars par jour (1 à 1,5 milliard par an) soit 2 ou 3 % du budget militaire russe. Un prix supportable, mais non négligeable – surtout sur la durée – pour une économie russe sévèrement touchée par la chute des prix du pétrole et les sanctions internationales liées à la crise ukrainienne. L'armée russe n'a pas non plus les moyens d'une intervention trop prolongée qui use les matériels et les hommes.
Deuxième message : la Russie est redevenue un acteur mondial. Comme au temps de la guerre froide, les choses sérieuses sont désormais traitées directement entre Moscou et Washington. Obama et Poutine ont décidé le cessez-le-feu entré en vigueur le 26 février, prélude aux négociations qui s'engagent ces jours-ci à Genève. En retirant ses troupes, le président russe se pose en faiseur de paix. Accessoirement, il marginalise le rôle de la Chine, qui, malgré sa force démographique et économique, ne joue pas encore dans la cour des grands de ce monde.
Troisième message : Moscou n'est pas marié avec Assad. Les Russes (et les Iraniens) ont, certes, sauvé le régime. Mais ils ont toujours souligné qu'ils voulaient avant tout éviter la désintégration de l'État syrien, comme cela s'était produit en Irak avec l'intervention américaine. Le retrait – même partiel – est un signal très fort et un avertissement sans frais qui va réduire considérablement la marge de manœuvre de Damas. L'objectif est évidemment de mettre en place une solution politique acceptable qui éviterait le chaos.
Quatrième message : la Russie est un partenaire responsable en Syrie et... en Ukraine. Officiellement, il n'existe aucun lien entre les deux crises. Les diplomates jurent la main sur le cœur que les dossiers sont rigoureusement séparés. La levée d'une partie des sanctions européennes contre la Russie est liée à l'application des accords « Minsk 2 » conclus dans le « format Normandie » entre l'Ukraine, les séparatistes et la Russie, sous l'égide de la France, de l'Allemagne et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Aucun rapport, en principe, avec la Syrie. Sauf qu'en montrant sa bonne volonté, Poutine met indéniablement de l'huile dans les rouages alors que plusieurs pays européens sont de plus en plus réticents à reconduire les sanctions contre Moscou…
Le retrait russe de Syrie devrait également diminuer la tension avec la Turquie, ennemi héréditaire de l'empire russe et améliorer les relations avec les pays du Golfe, dont l'Arabie saoudite. Il risque en revanche de renforcer considérablement l'influence de l'Iran, qui demeurerait – du moins pour l'instant – le seul allié inconditionnel de Bachar.



Military analysts at IHS Jane’s say the Takfiri ISIS terrorist group has lost control of 22 percent of territory it held in Iraq and Syria since the beginning of 2015.

CONCLUSION : La décision parfaite

La décision parfaite
Décidément, Poutine fait parler de lui... Ses surprises géopolitiques, ses fulgurances stratégiques ne laissent pas d'étonner partisans comme adversaires. Sa décision de retirer une partie des forces russes de Syrie a été commentée d'Honolulu à Santiago et est généralement considérée comme un coup de maître, y compris - ô surprise - dans la presse occidentale du système. Pour les médias américains, par exemple, "Poutine a une nouvelle fois possédé Obama" ; c'est peut-être quelque peu exagéré mais il y a du vrai. Rarement aura-t-on vu une telle unanimité pour reconnaître le succès de l'intervention russe qui a, de fait, complètement inversé le cours de la guerre syrienne avec des moyens pourtant (presque) dérisoires et évité l'écueil de l'enlisement.
L'explication à ce retrait partiel, dont le timing est également loué par les observateurs, est finalement relativement simple et tient en deux grands paradigmes :
  • Poutine dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit
Dans un billet de novembre intitulé La technique du rhinocéros, nous écrivions :
"Faire la guerre pour dicter la paix. Cette maxime très XVIIème siècle est constitutive de la politique que Vladimir Poutine, westphalien dans l'âme, applique à la Syrie. Autant l'âme russe peut connaître de violentes sautes d'humeur quand il s'agit d'art, de révolution ou de fête, autant la pensée russe en matière de stratégie extérieure fait penser au rhinocéros, avançant lentement mais fermement, inexorablement, et finissant par mettre tout le monde d'accord.
La Syrie est un cas d'école. Que disait Moscou avant l'intervention ? Nous allons repousser les terroristes, rétablir le gouvernement légal et sauvegarder l'intégrité de la Syrie tout en favorisant un consensus national. Petit à petit, les pièces se mettent en place et c'est exactement ce à quoi nous commençons à assister, à la virgule près. Quel changement par rapport aux simagrées occidentales où les effets de communication font maintenant office de politique...
Un rhinocéros qui dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit, qui avance inexorablement, sans grandes annonces mais d'un pas sûr. D'accord ou pas, Américains, Saoudiens, Turcs, Français et Qataris vont devoir s'y plier..."
La cinquantaine d'avions n'était pas suffisante pour mener la guerre à la fois contre les terroristes "modérés" (qu'ils soient qaédistes, Ahrar al-chamistes ou autres) et contre Daech. L'intervention russe avait pour but de rétablir le gouvernement, saucissonner la rébellion et (re)créer les conditions favorables en Syrie utile pour récupérer en temps voulu l'est syrien aux main de l'EI. Maintenant que la donne a été bouleversée dans la partie occidentale du pays (il a fallu deux mois de plus que prévu) et que de vraies négociations de paix peuvent aboutir, les Russes réduisent leur présence militaire.
  • Moscou réduit la voilure mais ne part pas
C'est l'aspect le plus important. En réduisant la présence des forces russes, Poutine réduit leur exposition à tout incident et rassure son opinion publique toujours traumatisée par le bourbier afghan. Ce faisant, il donne en passant une belle petite claque à Obama qui prédisait avec force effets de manche "un enlisement russe en Syrie" (Barack à frites se retrouve encore une fois le bec dans l'eau). Le Kremlin impose aussi le tempo aux pourparlers de Genève et amadoue l'opposition. Bref, le timing est parfait. Sans compter, cerise pas si petite que ça sur le gâteau, la démonstration de l'efficacité de l'équipement militaire russe, bénéficiant aux ventes d'armement.
Tactiquement parlant, le retrait partiel ne change rien. Les combats dans l'ouest syrien, contre des groupes mobiles disséminés dans un mouchoir de poche, requéraient une réactivité très rapide (chasseurs, drones...) La guerre contre l'Etat Islamique ressemble à une guerre plus conventionnelle avec des positions établies, connues. Dans ce genre de combat, les missiles Kalibr tirés depuis la Caspienne ou la Méditerranée feront merveille, aidés par les bombardiers et les hélicoptères qui restent en Syrie. D'ailleurs, certains ont déjà été transférés vers la base d'Homs, plus proche du front contre Daech, et l'aviation russe vient de pilonner l'EI à Palmyre.
Sans compter que les bases, notamment la base permanente d'Hmeymim, sont prêtes à accueillir à tout moment le retour d'avions russes supplémentaires au cas où les choses déraperaient à nouveau. Comme le dit un officiel de la défense à Moscou : "Nous pouvons revenir quand nous le voulons".
Rédigé par Observatus geopoliticus
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