samedi 19 mars 2016

Tunisie. Les enfants de Bourguiba

Si j'étais jihadiste, je réfléchirais à deux fois avant de songer à faire de la Tunisie un émirat. Car il faut tout ignorer de l’histoire de ce pays pour croire que le sinistre drapeau de l’État islamique flottera un jour sur ces terres. Il faut être aveugle pour ne pas se rendre compte que l’islam politique est en train de se casser les dents sur la résistance tunisienne. C’est fou, quand même, le nombre de fois où ce peuple a relevé la tête devant les forces obscurantistes qui voulaient le faire plier !

 
Souvenez-vous. La révolution s’est faite sans l’ombre d’un religieux. Elle n’a pas concédé le titre de martyr au fameux Bouazizi. Puis les Frères musulmans sont arrivés. Ils se sont fait passer pour des anges sauveurs. La prison leur avait dessiné une auréole de saint. Les Tunisiens ont bien voulu leur donner une chance, mais ce n’était pas un blanc-seing pour la charia. Ils espéraient une gouvernance honnête et juste. Ils ont vite déchanté.
Mais la société civile était au tournant. État musulman avant État libre ? Non, monsieur
Les Frères ont beau avoir invoqué Dieu en politique, ils n’étaient pas meilleurs que les autres : appétit du pouvoir, manque d’expérience, absence de patriotisme, lamentable gestion de l’image de la Tunisie à l’extérieur, enrichissement subit et corruption. Les efforts pour torpiller le projet démocratique furent à l’œuvre dès la rédaction de la Constitution.
Mais la société civile était au tournant. 
- État musulman avant État libre ? Non, monsieur. 
- Toucher à l’égalité entre hommes et femmes ? Vous plaisantez ? 
- Réintroduire la polygamie et restreindre le planning familial ? Et puis quoi encore ? 
Bref, la Tunisie a signifié aux Frères musulmans qu’elle n’est pas prête à se faire manger. Et cela, Ghannouchi, en renard, l’a compris. Ce n’est pas le contexte extérieur ni le sort fait en Égypte aux Frères qui va l’édifier, c’est d’abord la Tunisie. Sa spécificité et son histoire. Le leader d’Ennahdha a saisi qu’il fallait « tunisifier » le projet islamiste et l’adapter aux mœurs et à l’esprit « citadin » des Tunisiens.
Qu’une bande d’écervelés ait cru pouvoir mettre la main sur une ville tunisienne ferait rire tout le monde s’il n’y avait des victimes dans les rangs de nos soldats
Il y a là de quoi rappeler aux tenants du discours religieux, des plus propres sur eux jusqu’aux « daé-chiens » qui ont attaqué Ben Guerdane, que la Tunisie a derrière elle plus de deux mille cinq ans d’histoire. Elle fut la première wilaya à sortir du giron du califat de Bagdad, au début du IXe siècle déjà ! Elle a institué le contrat kairouanais qui n’existait dans aucune contrée d’islam et qui garantissait la monogamie aux femmes. Elle a aboli l’esclavage au XIXe siècle et lancé la première Constitution laïque du monde arabe.
Surtout, elle a eu Bourguiba. Celui qui a dit et répété : « Je suis musulman mais je refuse de gouverner avec la religion. » 
Ses enfants se sont transmis ce testament. 
Ils se battront jusqu’au bout. 
Alors, qu’une bande d’écervelés ait cru pouvoir mettre la main sur une ville tunisienne ferait rire tout le monde s’il n’y avait des victimes dans les rangs de nos soldats. Des soldats qui viennent d’infliger une défaite aussi cinglante que si elle avait été menée par tout un peuple.....  Alors, gloire à leurs ancêtres !

aouzia Zouari
http://www.jeuneafrique.com/mag/309506/politique/tunisie-enfants-de-bourguiba/

Trois générations de Tunisiens auront vécu à l’ombre protectrice de « Si Lhabib », séduits par ce tribun de génie, moderne et autoritaire, angoissés par sa longue déliquescence. Ceux qui ont aujourd’hui entre 30 ans et 40 ans n’ont longtemps retenu que les dix dernières années de sa vie, ce naufrage pathétique d’un vieillard au corps et à l’esprit affaiblis, qui se voyait en président éternel, aveugle à l’usure du temps. L’enfant de Monastir fut incapable de choisir lui-même le terme de son règne. Mais réduire Bourguiba au crépuscule de sa vie, aussi pénible que fût cette mise en scène permanente, serait une grande injustice. C’était un personnage hors du commun : artisan de l’indépendance, bâtisseur d’un État moderne, visionnaire, courageux, responsable, intègre, humaniste. Le Combattant suprême a connu un extraordinaire parcours politique, véritable entrelacs d’âpres batailles pour l’indépendance, la libération de la femme, la généralisation de l’enseignement et de l’accès aux soins, le développement de son pays, ou contre l’obscurantisme. La trace laissée dans l’Histoire par le fils d’Ali Bourguiba et de Fattouma Khefacha est à la mesure de sa stature : immense. Côté sombre, sa conception monarchique, pour ne pas dire tyrannique, du pouvoir, un ego démesuré, la censure, un caractère colérique ne souffrant aucune contradiction.

Dix ans après sa mort, que reste-t-il du père fondateur ? 

Un véritable mythe, une conception de l’État et de son rôle mais aussi, et surtout, un pays en paix et ouvert sur le monde qui, sans lui, ne serait peut-être qu’un petit coin de terre sans intérêt, coincé entre deux géants pétroliers, l’Algérie et la Libye. Certains l’ont oublié, qui ne regardent qu’avec réticence le passé. D’autres, plus jeunes, ne mesurent pas la valeur de son héritage, parce qu’on ne leur a pas (ou mal) enseigné.
Ne pas comprendre d’où l’on vient, c’est s’exposer à ne pas savoir où l’on va…